1. Madame A travaillait pour la société X en qualité d’inspectrice chargée de superviser les équipes de nettoyage mises à disposition de ses clients. Monsieur B, avec qui elle entretenait une relation amoureuse, fut engagé en qualité d’ouvrier à son intervention.
Lors d’un contrôle en 2012 sur un chantier dont Madame A était l’inspectrice, il apparut que Monsieur B, qui était censé avoir travaillé plus d’un an sur ce chantier, y était totalement inconnu. Vérifications faites, il s’avéra que les fiches de prestations relatives à Monsieur B, établies par Madame A, portaient sur des prestations inexistantes et étaient fausses.
2. Une procédure de licenciement pour motif grave de Madame A, candidate déléguée du personnel, fut introduite devant le tribunal du travail. La procédure se poursuivit jusqu’à ce qu’elle devînt sans objet suite à sa démission en 2019.
Durant la procédure devant les juridictions du travail, l’employeur décida de suspendre l’exécution du contrat de travail en application de l’art. 5, § 5, de la loi du 19 mars 1991. Il était partant, en vertu de l’art. 9, al. 1er, de cette loi, tenu de payer pendant cette procédure, à l’échéance de chaque période normale de paie, une indemnité complémentaire aux allocations de chômage assurant à Madame A un revenu égal à sa rémunération nette.
La société X paya ainsi, de 2012 à 2019, des indemnités complémentaires à concurrence de 244.675,75 EUR à Madame A.
3. Durant la procédure devant les juridictions du travail, la société X déposa plainte avec constitution de partie civile contre Madame A et Monsieur B.
Par arrêt du 12 février 2020, la cour d’appel de Bruxelles condamna les prévenus du chef de faux, usage de faux et escroquerie. La demande de la société X tendant à les entendre condamner à lui payer la somme de 244.675,75 EUR, équivalente aux montants payés à Madame A durant la procédure devant les juridictions du travail sans qu’elle effectue des prestations de travail, fut déclarée non fondée au motif que la débition de cette indemnité par l’employeur trouve sa source dans la loi (l’art. 9 de la loi du 19 mars 1991) ce qui implique qu’elle n’est pas en lien de causalité directe avec les préventions déclarées établies.
L’employeur s’est pourvu avec succès en cassation.
La Cour de cassation décida en son arrêt du 3 juin 2020 (P.20.0278.F, ECLI:BE:CASS:2020:ARR.20200603.2F.4), que
– l’existence d’une obligation légale peut empêcher qu’un dommage survienne au sens de l’art. 1382 ancien C.civ., particulièrement lorsqu’il ressort du contenu ou de l’économie de la loi que la dépense à intervenir doit rester définitivement à charge de celui à qui il incombe de l’exposer (jurisprudence constante de la Cour depuis les arrêts des 19 et 20 février 2001 ; Pas. 2001, n°s 97-101);
– l’employeur qui est privé des prestations de son employé parce que celui-ci a commis à son détriment un délit rendant impossible la poursuite de la relation de travail, et qui est tenu de verser à cet employé, en vertu de son statut de travailleur protégé, pendant la durée de la procédure de licenciement, les indemnités prescrites par la loi, peut subir de ce fait un dommage consistant dans le fait de devoir consentir à des décaissements sans obtenir de prestation de travail ;
– il n’en irait autrement que s’il résultait de la loi que lesdites dépenses doivent rester à charge de celui qui les a exposées, ce que l’arrêt ne dit pas être le cas.
Cet arrêt fut rendu sur conclusions contraires du ministère public, qui fit valoir qu’il ressort de l’art. 9, al. 4, de la loi du 19 mars 1991, qui dispose que l’indemnité complémentaire reste acquise au travailleur protégé quelle que soit la décision de la juridiction du travail sur les motifs invoqués par l’employeur, que cette indemnité doit rester définitivement à sa charge. Il admit que la cour d’appel ne constatait pas de façon expresse qu’il résulte de la loi du 19 mars 1991 que l’indemnité doit rester définitivement à charge de l’employeur, mais proposa à la Cour de cassation de suppléer ce motif de droit justifiant le dispositif de l’arrêt attaqué (ECLI:BE:CASS:2020:CONC.20200603.2F.4).
4. La cause fut renvoyée à la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée, qui, par arrêt du 23 mai 2022, débouta à nouveau l’employeur de sa demande, en constatant cette fois-ci expressément qu’il ressort de l’art. 9, al. 4, de la loi du 19 mars 1991 que les indemnités complémentaires doivent rester définitivement à sa charge.
La décision des juges bruxellois fut à nouveau censurée par Cour de cassation qui décida en son arrêt du 22 mai 2024 (P.22.0797.F) que
– l’employeur qui est privé des prestations de son employé parce que celui-ci a commis à son détriment un délit rendant impossible la poursuite de la relation de travail, et qui est tenu de verser à cet employé, en vertu de son statut de travailleur protégé, pendant la durée de la procédure de licenciement, les indemnités prescrites par la loi, peut subir de ce fait un dommage consistant dans le fait de devoir consentir à des décaissements sans obtenir de prestation de travail ;
– ne porte pas atteinte au droit à la réparation dudit dommage le quatrième alinéa de l’art. 9 de la loi du 19 mars 1991, aux termes duquel l’indemnité complémentaire versée par l’employeur reste acquise au délégué du personnel, quelle que soit la décision de la juridiction du travail sur les motifs invoqués par l’employeur.
La cour d’appel ne justifie partant pas légalement sa décision de débouter l’employeur de son action par la considération que les indemnités complémentaires payées au travailleur protégé doivent rester définitivement à charge de l’employeur en vertu de l’art. 9 de la loi du 19.03.1991 (voyez également Cass. 16 février 2002, P.21.1532.F, ECLI:BE:CASS:2022:ARR.20220316.2F.5).